Jean-Marc Lepers

Inter-Institut de Robotique , Anthropologie générative et Modélisation

Université de Paris 8

Février 1995


Une interprétation du système

de correspondances du Tarot divinatoire


Généralités

Comment interpréter un système non rationnel ?

Des noms, des chiffres et des icônes

Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre !

Les Trois Mondes


 

Le Deuxième Monde

Nous nous sommes arrêtés au Sept, le Chariot, centre et équilibre du premier monde, signifiant donc à la fois un dépassement, un passage, une médiation vers le second monde, le monde proprement humain ou "incarné". Le second monde est une conséquence du premier; il ne lui est pas analogue. Les cartes du second monde ne fournissent pas d'opposition tranchée, comme Pape-Papesse ou Empereur-Impératrice. Cependant, nous disposons d'un indice, la propriété selon laquelle tous les couples de cartes opposées ont la même somme.

On peut donc penser que les cartes vont s'organiser en fonction de la carte d'équilibre du second monde, le Quatorze, la Tempérance. La Tempérance représente un personnage féminin ailé, angélique, tenant deux urnes, l'une rouge de la main droite, l'autre bleue de la main gauche, entre lesquelles circule un fluide. Tout comme le Chariot, cette carte signifie l'équilibre des contraires, cette fois dans le monde incarné, et le passage à un monde supérieur, ailé, qui est celui de l'Esprit.

Cette organisation des nombres en fonction du Quatorze pris comme centre fait également du Sept un nombre médian entre les nombres opposés. Par exemple, le Huit sera opposé au Six, somme Quatorze, médiane Sept. De même pour le Neuf et le Cinq, etc.

Dans ce système de calcul, le Huit, la Justice, est opposé au Six, l'Amoureux. La Justice est une représentation féminine, dotée des attributs traditionnels, le glaive et la balance. Opposée à l'Amoureux signifiant l'indécision, la difficulté des choix, elle signifie clairement les choix, la décision, la réalisation d'un ordre, la solution d'un conflit. L'Amoureux peut être considéré comme une impasse de la Volonté, ou plus exactement la nécessité dans laquelle elle se trouve de devoir s'incarner, ce en quoi il est opposé au Bateleur. Il est opposé à une carte féminine, la Justice, première carte du monde incarné. Comparée au Bateleur, la Justice symbolise la réalisation d'un ordre humain, alors que le Bateleur signifie la multiplicité des possibles.

Le Neuf, l'Ermite, est opposé au Cinq, le Pape. Alors que le Pape suggère un pouvoir spirituel de liaison (le Pape a le pouvoir de "lier" et "délier"), l'Ermite suggère la recherche solitaire et le secret. Les occultistes et initiés y voient souvent une représentation d'eux-mêmes. L'Ermite se soutient d'un bâton appuyé sur le sol de la main gauche, et porte une lanterne à demi-cachée sous sa cape de la main droite. Cette cape est bleue, comme celle des représentations féminines (Papesse, Impératrice) du premier monde, et à l'inverse du Pape et de l'Empereur. L'Ermite correspond bien à la Papesse : celle-ci portait un livre ouvert sur les genoux, et l'Ermite signifie recherche, étude.

Le Dix, la Roue de Fortune, est opposé au Quatre, l'Empereur. On voit sur cette carte un personnage animal couronné et doté d'un glaive, au sommet d'une roue tournante sur laquelle certains personnages sont en train de monter, et d'autres de descendre. La signification de la carte est assez claire : elle met en valeur la fragilité des constructions humaines; la Fortune, féminine, est ici opposée à l'Empereur. Sa correspondance avec l'Impératrice se fonde sur l'idée d'une mobilité; l'Impératrice symbolise la pensée, le mouvement, quand l'Empereur signifiait la stabilité. Rappelons-nous que l'Empereur est représenté s'appuyant sur un blason représentant l'Aigle, l'Esprit.

Le Onze, la Force, représente une jeune femme tenant ouverte la gueule d'un animal. Elle est opposée au Trois, l'Impératrice. On retrouve ici à peu près la même relation que celle du Pape et de l'Ermite : la Force, personnage féminin, est recouverte d'une cape rouge, attribut masculin. La Force signifie la capacité de maîtrise des événements; contrairement à l'Impératrice, elle est orientée vers les réalisations charnelles; elle représente une maîtrise du Lion, l'animal symbolisant l'humain, entre la chair du Taureau et l'Ange représentant l'âme individuelle.

Le Douze, le Pendu, représente un homme suspendu par le pied gauche. Cette carte signifie arrêt, blocage, sacrifice. Elle est opposée au Deux, la Papesse. On peut y lire la limitation de l'incarnation ou les limitations de la matière. Les occultistes mettent cette carte en correspondance avec le sacrifice du Christ, signifiant les limites de la Chair ou de la Matière. Elle correspond évidemment au Pape.

Le Treize, la Mort, est opposé au Un, le Bateleur. La Mort est évidemment la fin du cycle de l'incarnation, la fin du cycle des réalisations. Elle signifie évidemment la destruction, mais également le changement profond et intime.

Nous avons mis en relation chaque carte avec son complément à Quatorze, considéré comme centre du second monde. Chaque carte peut également être mise en relation avec le Sept, considéré comme médiateur entre les deux premiers mondes. Nous sommes en présence d'une structure additive : le Huit dans le second monde correspond au Un dans le premier, le Neuf au Deux, etc. Chaque carte du second monde peut être mise en relation avec deux cartes du premier, dans une relation d'opposition et une relation de correspondance. Passant d'un monde à l'autre, et à des nombres plus élevés qui peuvent être mis en relation de façons multiples avec les nombres précédents par l'utilisation de méthodes additives et soustractives, les cartes deviennent plus complexes, plus ambiguës ou ambivalentes. Il est assez probable que l'ensemble des relations d'une carte doive être utilisé si l'on veut comprendre son sens.

La compréhension du système n'est possible que par compréhension du rôle exact des centres d'équilibre et de passage, définis comme les multiples de Sept. Le sens des trois cartes multiples de Sept, à la fois équilibre des forces d'un plan, et passage à un "plan supérieur", même s'il est assez généralement accepté par les occultistes, coutumiers d'une rhétorique du passage initiatique, peut poser problème à celui qui se réfère à une culture scientifique. Dans la culture scientifique, la notion de dépassement n'existe pas. On pourrait même dire, au vu des méthodes que nous appliquons à la description du monde, que la notion de dépassement, appliquée à des ensembles que nous voyons comme de plus en plus complexes, ne trouverait plus aucun champ sur lequel s'appliquer. Bien entendu, il traîne encore des masses importantes de dialectique dans le domaine dit des sciences humaines, tout comme dans les mondes littéraire et politique. La vision du Tarot est explicitement totalitaire; elle pose un ensemble de symboles allant du Un (le Bateleur) au Monde (Vingt-et-Un), à la Totalité, à travers un parcours impliquant plusieurs dépassements. Les occultismes, proposant tous des visions d'une libération, d'un dépassement, et l'apogée sous diverses formes d'un nouveau Monde, sont forcément totalitaires, mais ni plus ni moins que les adeptes de la "résolution des contradictions", de la "solution finale", voire, plus récemment, de l'"unité par l'acceptation de la différence", du "village global" et des paradis communicationnels.

Il nous faut bien comprendre cette notion de "dépassement", si obscure pour qui n'est pas adepte et si évidente pour qui l'est. Ou, à défaut de la comprendre, puisqu'il s'agit essentiellement d'un acte de foi, d'en saisir clairement la structure et la fonction. Il est toujours assez difficile, évidemment, de décrire sa propre culture, puisqu'elle ne comporte pas les outils de sa propre description. La notion de dépassement, par exemple, est totalement implicite; personne n'a jamais prouvé qu'il existait un quelconque dépassement de quoi que ce soit; pourtant, cette notion est communément acceptée, et utilisée par la plupart des individus, et en particulier par les universitaires non scientifiques, dans leurs activités quotidiennes.

Nous n'avons pas d'autre alternative que d'accepter cette notion comme un outil communément accepté dans l'espace de notre culture, et pas dans d'autres, et donc support en tant qu'outil d'un sens propre, indéfinissable, incompréhensible et pourtant compris spontanément par tous les membres de la culture à travers toutes les organisations pré-conscientes qu'ils se font du monde.

Si je me réfère à ma propre expérience de tireur de cartes, je considère dans le contexte du tirage la description du monde et le sens des cartes comme valides et opératoires, même si par ailleurs, dans le contexte d'une tentative d'analyse scientifique, je peux les considérer comme une description totalitaire (parmi beaucoup d'autres, il est vrai). Même si je ne considère pas la division du monde en Mental, Physique, Astral ou autres comme particulièrement valide, et même si, comme c'est le cas, j'éprouve les plus grandes difficultés à me représenter ce dont il s'agit, je suis pourtant capable de le faire fonctionner localement dans des expériences particulières, et je peux même le faire avec la facilité des activités quasi-réflexes ou spontanées. La spontanéité, en l'occurence, ne fait pas signe d'une quelconque vérité; elle est le signe de l'adéquation du comportement à une culture.

Le Quatorze, la Tempérance, l'Ange, signifie donc le passage au plan supérieur, celui du plan astral ou des forces cosmiques. On y trouve évidemment des symboles métaphysiques, Diable, Maison-Dieu, Soleil, Lune, Etoile, Jugement. Nous reprenons la méthode utilisée pour le plan précédent, c'est-à-dire l'étude du rapport de chaque carte avec son complément par rapport à la carte centrale Vingt-et-Un.


Troisième Monde : le Cosmos

Hors-jeu : le Mat