Le Deuxième Monde
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Nous nous sommes arrêtés au
Sept, le Chariot, centre et équilibre du premier monde, signifiant donc à la fois un
dépassement, un passage, une médiation vers le second monde, le monde proprement humain
ou "incarné". Le second monde est une conséquence du premier; il ne lui est
pas analogue. Les cartes du second monde ne fournissent pas d'opposition tranchée, comme
Pape-Papesse ou Empereur-Impératrice. Cependant, nous disposons d'un indice, la
propriété selon laquelle tous les couples de cartes opposées ont la même somme. |
On peut donc penser que les
cartes vont s'organiser en fonction de la carte d'équilibre du second monde, le Quatorze,
la Tempérance. La Tempérance représente un personnage féminin ailé, angélique,
tenant deux urnes, l'une rouge de la main droite, l'autre bleue de la main gauche, entre
lesquelles circule un fluide. Tout comme le Chariot, cette carte signifie l'équilibre des
contraires, cette fois dans le monde incarné, et le passage à un monde supérieur,
ailé, qui est celui de l'Esprit. |
Cette organisation des nombres
en fonction du Quatorze pris comme centre fait également du Sept un nombre médian entre
les nombres opposés. Par exemple, le Huit sera opposé au Six, somme Quatorze, médiane
Sept. De même pour le Neuf et le Cinq, etc. |
Dans ce système de calcul, le
Huit, la Justice, est opposé au Six, l'Amoureux. La Justice est une représentation
féminine, dotée des attributs traditionnels, le glaive et la balance. Opposée à
l'Amoureux signifiant l'indécision, la difficulté des choix, elle signifie clairement
les choix, la décision, la réalisation d'un ordre, la solution d'un conflit. L'Amoureux
peut être considéré comme une impasse de la Volonté, ou plus exactement la nécessité
dans laquelle elle se trouve de devoir s'incarner, ce en quoi il est opposé au Bateleur.
Il est opposé à une carte féminine, la Justice, première carte du monde incarné.
Comparée au Bateleur, la Justice symbolise la réalisation d'un ordre humain, alors que
le Bateleur signifie la multiplicité des possibles. |
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Le Neuf, l'Ermite, est opposé
au Cinq, le Pape. Alors que le Pape suggère un pouvoir spirituel de liaison (le Pape a le
pouvoir de "lier" et "délier"), l'Ermite suggère la recherche
solitaire et le secret. Les occultistes et initiés y voient souvent une représentation
d'eux-mêmes. L'Ermite se soutient d'un bâton appuyé sur le sol de la main gauche, et
porte une lanterne à demi-cachée sous sa cape de la main droite. Cette cape est bleue,
comme celle des représentations féminines (Papesse, Impératrice) du premier monde, et
à l'inverse du Pape et de l'Empereur. L'Ermite correspond bien à la Papesse : celle-ci
portait un livre ouvert sur les genoux, et l'Ermite signifie recherche, étude. |
Le Dix, la Roue de Fortune, est
opposé au Quatre, l'Empereur. On voit sur cette carte un personnage animal couronné et
doté d'un glaive, au sommet d'une roue tournante sur laquelle certains personnages sont
en train de monter, et d'autres de descendre. La signification de la carte est assez
claire : elle met en valeur la fragilité des constructions humaines; la Fortune,
féminine, est ici opposée à l'Empereur. Sa correspondance avec l'Impératrice se fonde
sur l'idée d'une mobilité; l'Impératrice symbolise la pensée, le mouvement, quand
l'Empereur signifiait la stabilité. Rappelons-nous que l'Empereur est représenté
s'appuyant sur un blason représentant l'Aigle, l'Esprit. |
Le Onze, la Force, représente
une jeune femme tenant ouverte la gueule d'un animal. Elle est opposée au Trois,
l'Impératrice. On retrouve ici à peu près la même relation que celle du Pape et de
l'Ermite : la Force, personnage féminin, est recouverte d'une cape rouge, attribut
masculin. La Force signifie la capacité de maîtrise des événements; contrairement à
l'Impératrice, elle est orientée vers les réalisations charnelles; elle représente une
maîtrise du Lion, l'animal symbolisant l'humain, entre la chair du Taureau et l'Ange
représentant l'âme individuelle. |
Le Douze, le Pendu, représente
un homme suspendu par le pied gauche. Cette carte signifie arrêt, blocage, sacrifice.
Elle est opposée au Deux, la Papesse. On peut y lire la limitation de l'incarnation ou
les limitations de la matière. Les occultistes mettent cette carte en correspondance avec
le sacrifice du Christ, signifiant les limites de la Chair ou de la Matière. Elle
correspond évidemment au Pape. |
Le Treize, la Mort, est opposé
au Un, le Bateleur. La Mort est évidemment la fin du cycle de l'incarnation, la fin du
cycle des réalisations. Elle signifie évidemment la destruction, mais également le
changement profond et intime. |
Nous avons mis en relation
chaque carte avec son complément à Quatorze, considéré comme centre du second monde.
Chaque carte peut également être mise en relation avec le Sept, considéré comme
médiateur entre les deux premiers mondes. Nous sommes en présence d'une structure
additive : le Huit dans le second monde correspond au Un dans le premier, le Neuf au Deux,
etc. Chaque carte du second monde peut être mise en relation avec deux cartes du premier,
dans une relation d'opposition et une relation de correspondance. Passant d'un monde à
l'autre, et à des nombres plus élevés qui peuvent être mis en relation de façons
multiples avec les nombres précédents par l'utilisation de méthodes additives et
soustractives, les cartes deviennent plus complexes, plus ambiguës ou ambivalentes. Il
est assez probable que l'ensemble des relations d'une carte doive être utilisé si l'on
veut comprendre son sens. |
La compréhension du système
n'est possible que par compréhension du rôle exact des centres d'équilibre et de
passage, définis comme les multiples de Sept. Le sens des trois cartes multiples de Sept,
à la fois équilibre des forces d'un plan, et passage à un "plan supérieur",
même s'il est assez généralement accepté par les occultistes, coutumiers d'une
rhétorique du passage initiatique, peut poser problème à celui qui se réfère à une
culture scientifique. Dans la culture scientifique, la notion de dépassement n'existe
pas. On pourrait même dire, au vu des méthodes que nous appliquons à la description du
monde, que la notion de dépassement, appliquée à des ensembles que nous voyons comme de
plus en plus complexes, ne trouverait plus aucun champ sur lequel s'appliquer. Bien
entendu, il traîne encore des masses importantes de dialectique dans le domaine dit des
sciences humaines, tout comme dans les mondes littéraire et politique. La vision du Tarot
est explicitement totalitaire; elle pose un ensemble de symboles allant du Un (le
Bateleur) au Monde (Vingt-et-Un), à la Totalité, à travers un parcours impliquant
plusieurs dépassements. Les occultismes, proposant tous des visions d'une libération,
d'un dépassement, et l'apogée sous diverses formes d'un nouveau Monde, sont forcément
totalitaires, mais ni plus ni moins que les adeptes de la "résolution des
contradictions", de la "solution finale", voire, plus récemment, de
l'"unité par l'acceptation de la différence", du "village global" et
des paradis communicationnels. |
Il nous faut bien comprendre
cette notion de "dépassement", si obscure pour qui n'est pas adepte et si
évidente pour qui l'est. Ou, à défaut de la comprendre, puisqu'il s'agit
essentiellement d'un acte de foi, d'en saisir clairement la structure et la fonction. Il
est toujours assez difficile, évidemment, de décrire sa propre culture, puisqu'elle ne
comporte pas les outils de sa propre description. La notion de dépassement, par exemple,
est totalement implicite; personne n'a jamais prouvé qu'il existait un quelconque
dépassement de quoi que ce soit; pourtant, cette notion est communément acceptée, et
utilisée par la plupart des individus, et en particulier par les universitaires non
scientifiques, dans leurs activités quotidiennes. |
Nous n'avons pas d'autre
alternative que d'accepter cette notion comme un outil communément accepté dans l'espace
de notre culture, et pas dans d'autres, et donc support en tant qu'outil d'un sens propre,
indéfinissable, incompréhensible et pourtant compris spontanément par tous les membres
de la culture à travers toutes les organisations pré-conscientes qu'ils se font du
monde. |
Si je me réfère à ma propre
expérience de tireur de cartes, je considère dans le contexte du tirage la description
du monde et le sens des cartes comme valides et opératoires, même si par ailleurs, dans
le contexte d'une tentative d'analyse scientifique, je peux les considérer comme une
description totalitaire (parmi beaucoup d'autres, il est vrai). Même si je ne considère
pas la division du monde en Mental, Physique, Astral ou autres comme particulièrement
valide, et même si, comme c'est le cas, j'éprouve les plus grandes difficultés à me
représenter ce dont il s'agit, je suis pourtant capable de le faire fonctionner
localement dans des expériences particulières, et je peux même le faire avec la
facilité des activités quasi-réflexes ou spontanées. La spontanéité, en l'occurence,
ne fait pas signe d'une quelconque vérité; elle est le signe de l'adéquation du
comportement à une culture. |
Le Quatorze, la Tempérance,
l'Ange, signifie donc le passage au plan supérieur, celui du plan astral ou des forces
cosmiques. On y trouve évidemment des symboles métaphysiques, Diable, Maison-Dieu,
Soleil, Lune, Etoile, Jugement. Nous reprenons la méthode utilisée pour le plan
précédent, c'est-à-dire l'étude du rapport de chaque carte avec son complément par
rapport à la carte centrale Vingt-et-Un. |