Jean-Marc Lepers

Anthropologie systémique

 

Table des matières

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I. Les "systèmes" : composition, formation, évolution

II. Evolution des espèces

III. Le système social mammifère : leaders, rêves, émotions

IV. Le business du Rêve

 

A. Les enfants du Rêve

 

B. Maîtres et travailleurs : le crédit du Rêve

 

C. Initiation-castration

 

Bibliographie et Citations

 

 

 

IV. Le business du Rêve

 

 

 

A. Les enfants du Rêve

 

Pour tous les aborigènes, c'est-à-dire les hommes les plus primitifs que nous connaissions, vivant de chasse et de cueillette, l'élément le plus important de leur vie est ce qu'ils appellent "le Rêve", et ce que nous appelons plus volontiers "Magie" ou "Totem".

 

Pourquoi "le Rêve" ? Ce qui est "Rêve" ou "Sacré" englobe aussi bien certains songes que le domaine totémique apparent : les objets sacrés, les chants, les danses, les cérémonies, etc.. Tout cela est considéré comme le domaine de l'âme, de l'esprit, de la vie à la fois cachée et omniprésente. Notons que les primitifs ne distinguent pas comme nous le faisons le rêve et la réalité; la seule vie pleine, entière, est celle du Rêve. Le Rêve est la seule réalité pleine. Les catégories du Réel, de la Matière, du Corps, de la Raison ou de l'Entendement n'apparaîtront pleinement qu'avec la civilisation occidentale. Pour le primitif, tout corps est non seulement "signe" d'un Rêve, mais il est "consubstantiellement", comme diraient les théologiens, corps du Rêve lui-même.

 

Comment diable le rêve mammifère, compensateur des inhibitions d'une vie sociale et émotive complexe, a-t-il pu servir de base au Rêve qui structure l'organisation sociale humaine? Le système humain se fonde sur une socialisation partielle des affects oniriques privés. Il s'agit, pour les groupes humains, de rêver en communion. Il y a, à cette prééminence du Rêve chez les humains, plusieurs raisons. D'abord, le contrôle du groupe par le leader mammifère suppose la présence physique de celui-ci, alors que le rêve est interne, présent en permanence dans l'esprit de l'individu. Pouvoir manipuler le rêve, faire de la magie, c'est donc s'assurer un contrôle permanent sur le comportement des individus du groupe, c'est pouvoir coordonner plus efficacement. Ensuite, le rêve mobilise des affects très puissants, capables de mobiliser les individus au moins autant que les réflexes d'obéissance au leader mammifère. Enfin, l'évolution des systèmes, biologiques ou sociaux, travaille toujours sur les acquisitions les plus récentes; et l'apparition du rêve chez les mammifères est une acquisition très originale, une solution élégante au problème de la coexistence fonctionnelle des acquits instinctuels et des nécessités sociales. Il n'est pas très étonnant que le saut du primate à l'homme se caractérise par une extension considérable de l'imaginaire. L'imaginaire, si l'on y inclut l'imagination rationnelle, scientifique et technique, semble pour l'instant un domaine quasiment illimité, seule source du changement et de l'évolution.

 

Les sociétés primitives lancent une exploration frénétique du domaine du Rêve : transes des chamans, cérémonies, sacrifices, hallucinogènes, tous les moyens sont bons pour susciter la Vision. La parole, les symboles sont le moyen de transmettre et partager les mythes, les descriptions du "Temps du Rêve" dans lequel se meuvent des "Etres éternels" dont les hommes sont les enfants, des expressions plus ou moins achevées. Maîtriser le Rêve, c'est maîtriser le Pouvoir.

 

Le passage des anthropoïdes à l'homme s'accompagne donc d'un intense effort d'imagination. L'homme crée un espace imaginaire, auquel chaque individu initié pourra avoir accès, qui est l'espace de décision et d'ordonnancement du groupe. Cette invention est proprement "prodigieuse", bien plus à mon sens que ne l'est l'invention des pierres taillées.

 

Bien sûr, l'accès au domaine spirituel est différent selon les individus. En général, ce sont les plus âgés, les plus initiés, qui ont l'accès le plus facile au domaine du Rêve. Les aborigènes australiens appellent les vieux initiés, ceux qui sont presque entièrement plongés dans le domaine imaginaire du Temps du Rêve, les "Businessmen". Et ce n'est pas du tout là un contresens par rapport aux "businessmen" occidentaux qu'ils peuvent voir en Australie. Les occidentaux, bien qu'ils paraissent avoir "l'esprit pratique", sont eux aussi plongés dans une espèce de Rêve, même s'ils ont pris l'habitude de l'appeler autrement et de déconsidérer l'imaginaire par rapport à ce qu'ils appellent "réalisme" pour tenter de s'en démarquer.

 

Le Rêve détermine les choix qui engagent la vie de l'individu et du groupe. Il y a bien sûr une tradition du Rêve, une initiation : on ne "rêve" pas n'importe comment. Le rêve individuel se modèle forcément sur le Rêve collectif du clan.

 

Le Rêve est le moyen le plus économique de créer des émotions intenses. Dans la "réalité", l'inhibition est la règle, surtout dans les sociétés évoluées. Cette augmentation de l'inhibition avec l'évolution apparaît déjà chez les animaux, avant même les humains. Le Rêve est le meilleur moyen de créer des émotions intenses au moindre coût, c'est-à-dire sans dépense énergétique excessive et surtout sans danger pour le groupe. Maîtriser une "technologie du Rêve", c'est trouver le moyen de canaliser dans une direction socialement bénéfique l'énergie inhibée, de faire travailler l'imagination non plus seulement pour "se libérer" ou "se défouler", comme chez les mammifères, mais aussi dans un but de construction du mythe collectif.

 

Il n'y a aucun "progrès" humain qui ne découle directement de cette canalisation de l'imaginaire dans des voies "constructives". La socialisation partielle du domaine privé, auto-stimulant, du rêve, et sa transformation en Rêve, stimulation collective et partagée, est la base essentielle qui permet l'édification des sociétés humaines. L'"humanité" est un projet de l'imagination.

 

Petite parenthèse sur les "temps modernes" : si notre époque connaît une angoisse, c'est bien celle qu'apparaissent des formes d'organisation de la société dans lesquelles il n'y aurait plus de "rêve", des sociétés "froides" régies uniquement par des règles logiques, voire absurdes. L'homme en société a besoin d'enthousiasmes, de rêves collectifs, même si après coup, ils paraissent complètement fous. S'il n'y a plus de rêve commun, le corps social risque fort de disparaître. Une administration n'a jamais fait une société.

 

 

 

B. Maîtres et travailleurs : le crédit du Rêve

 

Les membres d'un Clan participent tous au même Rêve, ils descendent des mêmes ancêtres mythiques communs. Mais ils ne se referment pas sur eux-mêmes : en même temps qu'ils élaborent et enrichissent en permanence leur Rêve propre, ils vont d'une part montrer la puissance de leur Rêve à des alliés et d'autre part recevoir des Rêves d'autres alliés. Les cérémonies les plus solennelles sont celles qui mettent en rapport plusieurs clans pour échanger leurs Rêves, leurs filles et leurs cadeaux.

 

Les cérémonies respectent un ordre très précis. Le clan qui "donne" la cérémonie, qui exhibe donc son Rêve, est assisté par le clan qui la "reçoit". Le clan donneur de cérémonie est le "maître" de la cérémonie. Il donne à l'autre clan le spectacle de ce qu'il a de plus précieux, la révélation du mystère de son "âme", l'ensemble de ses pratiques magiques et symboliques, ses chants, ses danses, ses peintures, ses mythes, etc. Le clan qui "reçoit" la cérémonie est celui qui "donne" ses filles au clan donneur de cérémonie. La cérémonie est censée féconder les filles reçues par l'Ancêtre, le Totem évoluant dans le Temps du Rêve. Les membres du clan recevant la cérémonie doivent la préparer : on les appelle les "travailleurs". Le clan receveur donne donc du travail, et ses filles, pour recevoir la cérémonie. L'échange étant circulaire, jamais deux clans n'échangeront leurs deux cérémonies l'un avec l'autre; on a toujours le même rapport, "donneur" ou "receveur", avec le même clan.

 

Le Rêve donné dans la cérémonie est toujours censé Unique; il ne peut pas être mis en contact direct avec le Rêve du clan receveur. Dans toute cérémonie, il y a une "division du travail", ou plus exactement une division des rôles entre le clan actif et acteur, magicien et maître, et le clan passif, spectateur, travailleur, exécutant les "basses besognes" et donnant ses filles pour la révélation du Rêve. Il n'y a pas là de division technique du travail, mais bien une division symbolique très tranchée des deux rôles dans la cérémonie, division qui annonce déjà les multiples rapports "maître-esclave" ou "capital-travail" qui verront le jour dans les sociétés humaines.

 

Le rapport d'"échange" qui s'établit dans la société primitive est donc tout à fait particulier. Si on voit les choses de très haut, on peut ramener ça à un "échange de femmes" que l'on assimile plus ou moins à un troc généralisé. Mais en fait, chaque cérémonie, chaque échange prend la forme d'un rapport entre un élément immatériel, le Rêve, et des éléments matériels, le travail et les filles du clan spectateur.

 

Ce rapport n'est absolument pas un troc; au contraire, il s'agit bien d'un rapport monétaire, dans lequel un élément immatériel est échangé contre un élément matériel. Et, d'ailleurs, les aborigènes australiens, qui ont conscience de ce phénomène, appellent les Totems-Rêves : l'"Argent des Noirs".

 

"Businessmen", "Argent" : les termes employés par les "primitifs" sont de nature à nous faire penser qu'il n'y a pas de rupture brusque entre les premiers systèmes humains et les nôtres. Les sociétés primitives ont déjà inventé des formes de Capital.

 

Plus précisément que le Capital, les primitifs inventent en fait le Crédit, ou la Créance. Le fait important pour le primitif, quand il fait sa cérémonie, est qu'elle soit accréditée par un autre clan, et que cet autre clan manifeste le crédit qu'il a pour le Rêve ou l'Argent des donneurs de cérémonie en leur donnant ses filles, pour qu'elles soient fécondées par le Totem-Argent qu'ils accréditent ainsi.

 

Le système des aborigènes australiens est donc fondé sur un ensemble de crédits circulaires, entraînant la circulation des femmes entre les clans. L'"échange des femmes" ne peut absolument pas être assimilé à une espèce de troc qui serait régi par une loi de distribution plus ou moins inconsciente, "infra-structurelle", entre les clans. Au contraire, on trouve dans le système d'échange des femmes à la fois le souvenir du système du "show" en vigueur chez les chimpanzés et la préfiguration des systèmes modernes fondés sur le Crédit.

 

Déjà dans le "show" chimpanzé, le "leader" doit être plus ou moins "accrédité" par ses congénères du groupe. Ce qui est particulier dans l'espèce humaine, c'est que l'accréditation doit toujours venir d'un autre "clan" dont on est par principe séparé. Le "pouvoir" du Rêve doit perpétuellement être testé sur un autre clan. C'est la recherche d'une accréditation extérieure du "Rêve" qui fonde la relation d'alliance. Un Rêve non accrédité n'a aucune valeur.

 

L'activité du "businessman" aborigène est en cela fort semblable à celle de son confrère occidental, puisqu'elle consiste à élargir le champ de son "crédit", et à incorporer le crédit qu'il a reçu auprès d'autres clans, ou d'autres tribus alliées, dans son "Capital-Rêve", comme part intégrante de son mythe. Pouvoir inscrire une nouvelle alliance, un nouveau crédit, dans le mythe, c'est accroître son capital.

 

Mais attention : la concurrence entre les Rêves est strictement évitée. Dans les cérémonies, un seul Totem est exalté. Rien qui ressemble à ce que nous appelons "dialogue", ou à une "prise de contrôle" d'un groupe par un autre. Chaque Rêve reste un Absolu pour le clan qui l'engendre et qui en vit. Cet Absolu n'est pas partageable ni négociable, et on ne peut pas non plus envisager qu'il prenne le contrôle d'autres clans. L'alliance ne signifie jamais la fusion et le mélange. "Chacun son trip", comme diraient les rêveurs modernes.

 

L'organisation des clans australiens est en quelque sorte "paranoïaque", puisque les discours des clans ne communiquent pas entre eux. Chaque discours est unique et totalitaire; l'Autre est allié ou ennemi, jamais indifférent, encore moins identique.

 

Dans les sociétés d'aborigènes, l'"âme", ou le Totem, est une propriété très privée, limitée au clan, interdite aux autres, "sacrée". Elle a cependant besoin d'être "accréditée" par des membres d'un autre clan, étranger. L'âme personnelle et intransmissible fonde ainsi la relation d'alliance.

 

Les sociétés plus évoluées que les chasseurs-cueilleurs vont constamment "déprivatiser" l'âme, en faire un élément mobile, fluctuant, instable, jusqu'à créer les hommes "sans-âme", les esclaves, et leur opposé, l'Empereur-Dieu. Elles vont accomplir cette déprivatisation en élargissant le domaine du Crédit et de la concurrence pour l'obtention de ce Crédit. L'élargissement du système du Crédit aura par ailleurs pour conséquence l'élargissement de la société elle-même, l'intensification des inter-relations, la création de "centres" et de "périphéries".

 

 

 

C. Initiation-castration

 

L'initiation, ou la "castration", est le processus primaire de création d'"âme" ou de "valeur". Ce processus primaire, qui alimente la machine systémique, se réalise par l'intermédiaire d'une technologie cérémonielle spécifique qui d'une part opère des prélèvements sur le corps, fait subir des "épreuves", d'autre part fait accéder en contrepartie au domaine du Rêve. Plus les épreuves, les prélèvements, les souffrances sont importants, plus on accède au domaine du Rêve, de l'âme et de la valeur.

 

Ces opérations plus ou moins douloureuses ont pour but déclaré d'augmenter l'inhibition de ceux qui les subissent. En cela, elles sont encore assez proches du courant qui lie, dans toutes les espèces, l'augmentation de l'inhibition à une "évolution". Par rapport à l'inhibition animale, elles ont cependant une spécificité importante : elles orientent l'"attention" du néophyte vers le Rêve collectif, seule source du pouvoir et de la jouissance, en utilisant la fonction onirique qui a précisément pour but, chez les mammifères, d'être une compensation à cette inhibition. Ce Rêve lui-même, chez les humains, devient le "déclencheur" qui permet l'apparition d'actions "désinhibées", à la fois émotivement denses et codées par le Rêve collectif. Cette "technologie du Rêve" est l'apport principal des sociétés humaines au mécanisme général de l'évolution. Elle permet de créer des actes collectifs qui ont un aspect "désinhibé", donc de rassembler et focaliser l'énergie du groupe autour de "symboles" oniriques.

 

Là encore, la régression que représente la "désinhibition" par le rêve, qui crée chez l'homme le sentiment de perte de la "réalité" et les premiers états schizophréniques, est une espèce de "ruse de la Raison" parce que c'est sur cette désinhibition même que va se fonder tout le système d'inhibitions et d'interdits totémiques liés au Rêve. Le Rêve est l'intériorisation d'inhibitions et d'interdits, il est un "système de commande" pour tous les individus du Clan; mais ces individus sont en même temps libérés de l'attention que les animaux sociaux ont en permanence pour leur leader; leur Rêve est à l'intérieur d'eux-mêmes, et ils adhèrent complètement, émotivement, à ses injonctions.

 

Le lien entre la souffrance, le sang, le sacrifice, la mort, et le Totem-Rêve est très étroit. Pas de Totem sans sacrifice. Si, dans les sociétés aborigènes, le sacrifice est accompli sur l'initié lui-même, les sociétés plus évoluées inventeront d'autres méthodes de liaison entre le sacrifice et le Totem : il sera possible de sacrifier d'autres hommes pour alimenter la puissance du Rêve, ce qui nous amènera au cannibalisme néolithique. Mais dans tous les cas, ce sont la Chair et le Sang qui créent la Valeur.

 

Dans l'"échange des femmes" lui-même, on peut considérer que le clan qui reçoit la cérémonie et "travaille" donne également une part de sa "chair" dans cette cérémonie, puisque les filles données font partie de sa "chair" mythique. L'équivalence Valeur = Chair fonctionne dans toutes les opérations d'échange. La chair est toujours échangée contre de la valeur, du Rêve-Totem. Sans cet échange fondamental, aucun autre échange n'aurait lieu. La "castration" elle-même est une opération d'échange, échange entre de la "valeur" et de la "chair". Tout échange est également cérémonie et sacrifice, constitution du Sacré. Dans une cérémonie, tous les aspects de l'échange et de la constitution de la Valeur-Rêve sont intimement liés. C'est dans l'échange que se constitue la Monnaie, que se constitue le Crédit attribué au Rêve. Et l'échange se fait toujours "à crédit" : donner la chair d'abord, l'obtention de la valeur viendra ensuite. La souffrance est le gage demandé pour que l'on puisse entrer dans le domaine magique du Rêve. De même les filles d'un clan sont "engagées" auprès de l'autre clan qui fournit la cérémonie. Un gage, ou un crédit : déjà la livre de chair du marchand de Venise.

 

Les opérations des primitifs sur leur corps ne sont évidemment pas dues au sadisme : elles manifestent que le corps n'a aucune importance, que le monde "réel" n'est qu'un' fantasmagorie, et que les réactions instinctives, rationnelles, de lutte contre la souffrance doivent être combattues par l'établissement d'une rationalité supérieure, celle du Rêve, qui doit régner sans partage, devenir la seule vraie Réalité. Cette position "pure et dure" de rejet des systèmes de régulation instinctifs sera bien sûr remise en cause par la suite, quand les systèmes réévalueront le rôle positif que peuvent jouer les systèmes de régulation instinctuels. Peut-être, parce que leur écrasement n'était plus supportable. Il faut alors revenir en arrière, reprendre ce qui a été combattu et s'en servir pour créer de nouveaux systèmes. Ce qui était exclu, marginalisé, devient le centre de nouvelles relations.

 

Il ne faudrait d'ailleurs pas exagérer l'importance des souffrances des initiations : il est probable que l'initiation vise à créer également un état d'"anesthésie" qui marque bien la séparation de l'âme et du corps, et d'ailleurs semblable à l'état d'anesthésie que provoque le rêve naturel. Plus que de souffrance, c'est de "perte du corps" qu'il s'agit. On est d'autant plus initié qu'on est capable de s'éloigner de son corps et de ses régulations instinctuelles pour pénétrer dans le monde du Rêve. Les mutilations, etc., ne sont que des signes de cet éloignement du corps, de la libération des "lois de la Nature".

 

Aujourd'hui, plus que nous "libérer de la Nature", nous cherchons à mieux la connaître et l'exploiter, ce qui nous permet de reposer la question du rôle positif des régulations instinctuelles (je ne parle pas ici de tous ceux qui distinguent encore le "Bien" et le "Mal", et qui sont la majorité). Elles sont nombreuses, et elles continuent à fonctionner, sous le vernis de la "Culture" qui s'est dégagée de la "Nature". Nous sommes aujourd'hui à un stade où le Rêve se transforme en connaissance et en technologie des affects.

 

Les réactions des néophytes aux opérations qu'ils subissent sont significatives : en Australie, où ils sont circoncis, subincisés (c'est-à-dire que la peau du pénis est fendue sur toute sa longueur), l'opération qui les effraie cependant le plus est celle au cours de laquelle ils sont passés au-dessus d'un feu de broussailles, comme s'ils allaient être rôtis et mangés par les vieillards initiateurs et les Ancêtres mythiques. Cette opération, indolore, les panique pourtant complètement : c'est à ce moment que les Ancêtres les "mangent" symboliquement, qu'ils perdent leur corps d'enfant et acquièrent l'âme du Totem, entrent dans le domaine du Rêve, y sont en quelque sorte engloutis. La séparation de l'âme et du corps se fait toujours par des moyens anesthésiques, mystiques ou narcotiques; même les Aztèques, qui sacrifiaient des milliers de victimes dans certaines cérémonies, les droguaient et leur inculquaient une sorte de ferveur mystique. C'est la séparation de l'âme et du corps qui crée le symbole, lui donne son pouvoir.

 

 

 

 

 

Bibliographie et Citations

 

 

 

CASTANEDA, Carlos, L'herbe du diable et la petite fumée, Paris, le Soleil noir, 1974

 

"Pour don Juan, les états de réalité non ordinaire offraient la seule forme pragmatique de pédagogie et l'unique moyen d'obtenir un "pouvoir"."

 

ELIADE, Mircéa, Religions Australiennes, Paris , Payot, 1972

 

Les nouveaux initiés doivent boire le sang des anciens (vieillards). Ou parfois il est barbouillé de sang. C'est un sang "consacré" qui a un nom spécial. cf ELKIN, Australian aborigines, p 183

Les néophytes sont "cuits" rituellement, ils sont "rôtis" par le feu, tombent dans un foyer, etc, subissent des brûlure rituelles. C'est généralement le dernier rite de la série constituant l'initiation. (ELKIN, Australian aborigines, p 183)

Le 'tjurunga' est reçu après l'initiation, vers 25 ans (STREHLOW, Aranda traditions, pp 119-122)

 

ELKIN, Les aborigènes australiens, Gallimard,1967

Les churingas sont "le Rêve"

"Mariage et affaires marchent la main dans la main."

 

GLOWCZEWSKI, Barbara, "Les aborigènes sortent de leurs réserves", Le Monde Dimanche, 17 Février 1980

 

"Les Walpiri ont traduit par "business" tout ce qui se réfère à la vie spirituelle. Comme pour les autres aborigènes australiens, toute leur perception du monde repose sur la notion de "rêve". Dans un temps mythique des êtres primordiaux, humains, animaux ou forces naturelles ont voyagé. Ils sont toujours présents à toutes les haltes de leurs itinéraires : points d'eau, rochers, caves ou arbres. C'est pourquoi de tels endroits sont sacrés et protégés.De même la peinture des tablettes et des corps ne les représente pas, mais les fait exister; c'est pourquoi on les efface pour les repeindre plus tard, dès qu'un rituel est terminé."

 

MUNN, Nancy, Walbiri Iconography : graphic representation and cultural symbolism in a Central Australian society, London, C.U.P. , Ithaca , 1973

Les Walbiri, de la région d'Alice Springs, ont de fortes affinités avec les Arandas.

"Each ancestor is generally associated with more than one "guruwari" design. A well informed man is ordinary able to supply more than one design for a major ancestor of his own patrilodge,and sometimes for well known ancestors of other patrilodges." p. 157

"In heraldry, as in a pictorial writing system, the iconic qualities linking the visual forms to their meanings tend to be attenuated because of the over-all adjustement of the visual forms to another underlying sociocultural system for which the former constitutes a communication code. In the Walbiri designs, on the contrary, the bond between the design forms and sense experience is central for there is no systematic subordination of the iconic element to a second abstract ordering system. Thus selected qualities of the phenomenal world, transposed into the simple linear forms of the graphs, are of primary significance in the dynamics of design formation." p. 177-178

"Guruwari provides atemporal, transgenerational mode of inter-relationship between individuals and groups at the same time that they express the fundamental temporal or rhythmic sequences of movement from place to place, which Walbiri use to convey the ancestor's life cycle. Thus the structure of permanence encapsulates the travel experience of irreversible sequence that is also an idiom for the mortal life cycle." p. 182

Le guruwari peut être "dansé" dans une fête "banba" (fertilité) devant les membres d'un autre clan patrilinéaire, avec lequel les danseurs ont une relation de mariage, d'échange sexuel.

Le guruwari est "dans" l'enfant (c'est l'ancêtre), mais le danseur le porte "sur" lui, peint, ou sous forme de coiffure, alors que ce sont les "travailleurs" ("gurungulu"), appartenant au clan de la femme, qui le fabriquent.

"Dancers in 'banba' ceremonies should be members of the owning patrilodge (or barring this, at least of the same society of the lodge); they are the 'gira' or, as I have called them, the "masters" of the ceremony. The men who prepare the dancers should belong to the opposite patrimoiety; they are 'gurungulu', "workers" for the ceremony."

La fête 'banba' (fertilité) est l'exhibition du totem ou 'guruwari' ( = tjurunga chez les Aranda). Le danseur le porte sur lui, peint, et sous forme de coiffure, et il va dans l'enfant (c'est l'ancêtre du "Temps du Rêve"). Ce sont les "travailleurs", 'gurungulu', appartenant au clan des femmes, qui fabriquent la coiffure ou les peintures.

 

NUMELIN, Ragnar, Native contacts and diplomacy, Helsinki, 1968

 

Jamais une tribu ne cherche à s'emparer du territoire d'une autre (cf Spencer et Gillen)

Le système est classificatoire : tous les éléments de la nature sont rangés dans des classes qui sont autant de totems exogamiques.

"Si tel arbre appartient à telle classe, il servira exclusivement à fabriquer des armes et des outils des hommes du totem rattaché à cette classe, et les armes d'une classe servent exclusivement à chasser les animaux de la classe opposée mais complémentaire."

Le système politique est une ".gérontocratie magique"

Les matières premières (ocre, pierres, coquillages fossiles, etc) sont amenées par de grandes expéditions. Le "commerçant" est souvent une femme, et les "diplomates" femmes ont des relations sexuelles avec leurs interlocuteurs si la négociation réussit.

Les "churingas" sont objets d'échange et donnent lieu à des pélerinages avec échange et commerce de ces représentations totémiques, visites entraînant des prestations de nourriture, la jouissance de femmes, etc.

On dit que les churinga constituent l'"argent des noirs".

 

RöHEIM, Géza, Les Portes du Rêve, Payot, 1973

 

"Peut-être les indigènes ont-ils raison et devons-nous accepter, dans son sens littéral, leur formule : le Totem est un rêve."

 

 

V. Le système néolithique

VI. Le système impérial-religieux

VI. Le système impérial-religieux

VII. Peuples, cités, républiques

VIII. Systèmes modernes

IX. L'homme et les systèmes

X. Les jeux et les formes

Table des matières