Jean-Marc Lepers

Anthropologie systémique

 

Table des matières

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I. Les "systèmes" : composition, formation, évolution

II. Evolution des espèces

III. Le système social mammifère : leaders, rêves, émotions

IV. Le business du Rêve

V. Le système néolithique

VI. Le système impérial-religieux

VII. Peuples, cités, républiques

 

A. Constitution du "peuple"

 

B. La Monnaie populaire

 

C. Une nouvelle partition du Sacré : la Monnaie et la Vertu

 

D. Limites de l'égalisation

 

Bibliographie et Citations

 

 

 

VII. Peuples, cités, républiques

 

 

 

A. Constitution du "peuple"

 

L'apparition des "peuples" dans l'histoire se fait suivant le modèle qu'on peut appeler "normal" de création de nouveaux systèmes dans un système ancien : par séparation de petits sous-systèmes créant un réseau de connexions discriminantes et de connexions d'alliances plus complexe et plus structuré que celui du système originel. Les tribus d'Israël, les cités grecques se définissent d'abord contre l'empire et l'"esclavage" qu'il suppose.

 

Les Peuples vont créer ce réseau de connexions par l'utilisation intensive du concept de "Loi" ou de "Dieu" : "Arche d'Alliance" juive, "Constitution" grecque. Dans tous les cas, les tribus vont s'allier sur la base d'un Ecrit qui est leur oeuvre propre, et rejeter l'édifice théologique et politique des Empires. Dans tous ces peuples, la notion d'égalité des membres des tribus fondatrices dans le rapport à cette loi est une notion centrale, et ils développeront la connaissance de cette loi par l'enseignement de l'écriture.

 

L'effort du passage des Empires aux Peuples est donc avant tout un effort intellectuel. Par la connaissance de l'écriture, les membres du Peuple se donnent la maîtrise d'un moyen de connexion, d'un "médium" qui a fait toute la puissance des lettrés d'Empire. Le détournement de la technologie de l'Ecriture et sa diffusion dans le peuple porte un coup fatal aux Empires. D'où l'importance du transmetteur, traître ou mutant, Moïse chez les Hébreux, Solon à Athènes, aristocrates et initiés.

 

Juifs et Grecs se définissent en tant que "Peuple", issus d'une souche ethnique précise, peuples de lettrés, et distincts des "idolâtres" ou des "barbares". C'est surtout par le rejet de l'esclavage entre membres de la même "cité", le rejet de l'endettement des citoyens les plus pauvres, (loi de Solon à Athènes), et même l'élaboration de règles de solidarité internes à l'ethnie, chez les Juifs, qui créent le "Peuple", parfois conçu comme "Egaux" ou "Homologues" ou "Pairs", comme à Spartes où les terres conquises sont également distribuées entre les citoyens-guerriers. Ces règles ne s'appliquent évidemment pas aux "étrangers"; toute cité grecque a l'ambition de vivre de sa domination sur les étrangers, les colonies, les esclaves.

 

Quant aux Juifs, ils joueront partout le rôle d'intermédiaires pour accomplir les fonctions interdites aux sujets des sociétés ou ils s'installent : usuriers, commerce d'esclaves, intermédiaires entre les seigneurs et le peuple pour la collecte des impôts. Les règles de la "solidarité" sont internes à l'ethnie; au-delà de l'ethnie se trouvent des populations à exploiter.

 

Le système cohérent du "peuple" suscitera lui aussi ses "traîtres" ou ses "mutants" : le Christ dans une période de débâcle du système juif, manifeste la volonté d'aller "enseigner toutes les nations". Il n'y a plus alors ni "Juifs", ni "non-Juifs", comme le dit Saint Paul. Notons d'ailleurs que les historiens romains rapportent que les Juifs de l'Empire faisaient du prosélytisme, en concurrence avec les Chrétiens; ils cherchaient donc à élargir leur base ethnique. Il semble que ce soit surtout l'exigence de la circoncision, à laquelle Romains, Grecs et Barbares répugnaient particulièrement, qui ait fait basculer le choix du côté du christianisme. Ce qui a fait des Juifs une petite minorité, à la fois exclue et privilégiée.

 

Les nouveaux "Peuples" se caractérisent par une morale beaucoup plus contraignante que celle qui a cours dans les Empires. On applique au Peuple entier des règles qui n'ont cours, dans les Empires, que pour les initiés. Par exemple, la circoncision, qui est une marque distinctive des initiés en Egypte, est appliquée à tous les Juifs, ainsi que les rituels de propreté, de prière, de sacrifice, etc. De même, on connaît la rigueur de la morale et de la discipline spartiates, qui sont encore de nos jours un exemple.

 

Cet aspect "moral" et discipliné" des Peuples les oppose à la décadence des Empires, fondés sur la sujétion et l'esclavage, voire sur la corruption, bien plus que sur la discipline. C'est que la lutte contre la corruption est l'affaire des Initiés; la populace de l'Empire, elle, est dite corrompue, vile, enchaînée dans ses désirs, et le despote tire parti de cette corruption. Les Spartiates opposent constamment la "pureté" et la "rigueur" de leurs moeurs à la corruption des ilotes, leurs esclaves.

 

 

 

B. La Monnaie populaire

 

Les Peuples inventent de nouveaux modes de répartition du pouvoir. C'est à ce niveau que se précise la séparation entre Juifs et Grecs. Les Juifs ont conservé un système centré sur le Temple et la classe des Lévites, à l'origine constituée de membres de toutes les tribus. Les Lévites gardent le contrôle du Temple, et leur pouvoir économique, fondé sur la dîme, ne fait que se consolider. Les Grecs, au contraire, expérimentent un usage de plus en plus autonome de la Monnaie, la "décrochant" des hiérarchies religieuses auxquelles elle est originellement attachée. C'est ce décrochage des Monnaies grecques qui en permettant leur circulation intense, sera l'élément principal de l'expansion grecque... et aussi de sa décadence.

 

Les premières formes monétaires grecques, que l'on a appelées "signes prémonétaires", ont toujours rapport avec un "sacrifice" ("obole" qui est la broche à rôtir, trépieds, coupes, vases, etc.). Ce "sacrifice" peut d'ailleurs être un sacrifice humain. La Monnaie est donc un "prix du Sang", tout comme elle l'est dans les sociétés néolithiques cannibales. Dans certains cas, elle peut être aussi une "récompense", un "prix" accordé à un vainqueur, dans les Jeux Olympiques, dans un concours de "sagesse" (Histoire du Trépied des Sept Sages). Dans tous les cas, il semble que les distributeurs de ces "prix-monnaie" soient des prêtres, distribuant des objets symboliques "sacrés". C'est toujours le sacrifice qui est à l'origine de cette Valeur, sacrifice que seuls les prêtres ou les rois sont habilités à faire. Par leur mainmise sur le sacrifice, les Rois-Prêtres ont ainsi l'exclusivité de la création monétaire. Ces "signes prémonétaires" sont d'ailleurs en simple fer dans la Grèce archaïque : ce n'est pas le métal précieux qui fait leur valeur sacrée.

 

La diffusion de la monnaie sous sa forme encore actuelle de pièces semble avoir suivi des voies relativement extérieures au système contrôlé par les Rois-Prêtres. Le mythe d'origine de la première Monnaie couramment utilisée dans le commerce la fait créer par Gygès, un berger lydien qui grâce à un "anneau magique", un "sceau", devient invisible, tue le roi et épouse la reine. La Monnaie moderne semble donc liée à une forme de "révolution" abattant l'ancien pouvoir royal. Mais cela ne signifie pas qu'elle devienne immédiatement "profane". Au contraire, elle semble très fortement liée, dans ses premières formes, aux cultes orphiques et dionysiaques, cultes de "libération". Les premières Monnaies grecques sont marquées du signe de Phanès, dieu ailé précédant Orphée, principe d'amour réunissant les parties disjointes du Cosmos. (vers 650 AJC). Phanès-Orphée est également popularisé sous la forme de Dionysos, ou de Silènes ithyphalliques (550 AJC), également courants sur les monnaies. Phanès a également beaucoup de points communs avec Hermès, dieu du commerce, des voleurs et des choses secrètes.

 

Fort probablement, la diffusion des "mystères" orphiques et dionysiaques, à l'esprit fortement égalitaire, est beaucoup plus "populaire" que la distribution des "prix" sacrificiels organisée par les Rois-Prêtres. Le courant dionysiaque est extrêmement primitif : Dionysos est "mangeur de chair crue", "déchireur d'hommes"; avant la bataille de Salamine, trois jeunes Persans lui sont sacrifiés. Il est aussi "libérateur", et certains mythes l'assimilent à Osiris; le mythe dionysiaque est aussi celui de la "libération de l'âme". Ce mythe ancien est donc renouvelé à l'époque classique grecque sous la forme "orphique" d'une religion de salut; et l'apparition de la Monnaie frappée correspond à l'apparition de cette religion de salut populaire. Platon voit d'ailleurs dans l'orphisme une "farce plébéienne", affirme que l'on est inapte aux offrandes du Temple, et cette condamnation rejoint celle qu'il professe contre le pouvoir de la Monnaie. Par contre, Héraclite semble admettre le rôle central de la Monnaie, et même bâtir son système cosmogonique sur le modèle de l'échange monétaire : "au prix du Feu toute chose est échangée, et le Feu au prix de toutes ensemble, comme on échange avec l'or les marchandises, et avec les marchandises l'or".

 

Les lydiens, inventeurs de la Monnaie, "livrent à la prostitution leurs enfants de sexe féminin", selon Hérodote. Ils sont également les inventeurs des Jeux Olympiques et du commerce de détail. La prostitution, qui a lieu dans les Temples, est une forme de sacrifice : elle tend à raffermir le pouvoir du Signe, ici de la Monnaie. Les divinités des Monnaies, quand elles ne sont pas dionysiaques, sont liées à Aphrodite, mère d'Eros, déesse de l'Amour. Dans le cas de cette prostitution sacrée, les prêtres jouent probablement le rôle de banquiers : ils font circuler les pièces que reçoivent les femmes en paiement. Les Grecs, par contre, ne connaissent pas la prostitution sacrée, à la différence des autres populations de la Méditerranée orientale, Egyptiens exceptés. Il semble que la diffusion des Monnaies ait rapidement suivi chez eux un modèle de diffusion échappant au moins en partie aux instances religieuses "classiques" pour suivre des voies à la fois plus "mystiques" et plus "populaires".

 

Les premières Monnaies sont en tout cas loin d'être considérées comme de simples moyens d'échange. Les "Trésors" monétaires retrouvés laissent apparaître que le but n'est pas l'accumulation quantitative, mais la constitution d'une "collection" de Monnaies d'autres Cités. La possession de ces Monnaies signifiait-elle une alliance avec ceux qui les avait frappées ? Comment se faisait leur transmission ? Nous n'avons pas de réponse très précise à ce sujet. Ce qu'on peut en dire, C'est qu'elles représentent probablement des "gages", des "crédits" ou "lettres de créance". La Monnaie représente l'âme de celui qui l'a émise, ou l'âme de la Cité. Elle est Phanès "aux ailes d'or", Eros, Dionysos, libéré du corps ou "tombeau de l'âme", gage d'immortalité et de conservation.

 

La "démocratisation" de la Monnaie, en particulier à Athènes, est probablement la cause de l'expansion de la Cité, par élargissement de l'activité, et de sa chute, quand l'expansion monétaire fera craquer les relations traditionnelles entre citoyens, métèques et esclaves. L'existence d'une Monnaie qui échappe largement aux Temples-Banquiers traditionnels, qui s'acquiert par le "commerce" impie dénoncé par Platon et Aristote, fait en effet craquer tous les anciens cadres relationnels des Cités grecques. Le mythe germanique des Nibelungen explique tout aussi bien le rôle destructeur de la Monnaie : l'"Or du Rhin", forgé en "Anneau de la Vengeance", arme absolue contre Dieux et Hommes, détruit l'ordre des sociétés germaniques. Seul Attila, abandonnant sa vaisselle d'or à ses bonzes, échappe à la catastrophe.... La Monnaie "démocratique", athénienne, est rapidement vidée de son sens initiatique premier; elle se "vulgarise" pour s'échanger contre n'importe quoi.

 

Cette "vulgarisation" et cette extension considérable de la Monnaie sont les fondements des sociétés modernes. La Monnaie est devenue une "foi" qui a supplanté toutes les autres, la seule "religion de salut" qui ait subsisté intacte et qui domine toutes les autres. Les aborigènes australiens, qui, selon les normes occidentales, sont des hyper-mystiques passant la plus grande part de leur vie parmi les "Etres éternels du Rêve", ne s'y sont pas trompés en appelant ces Rêves l'"argent des Noirs". De même, Gilder, économiste - vedette des USA des années 80, termine son livre Richesse et pauvreté par un chapitre sur "La nécessité de la foi" où il explique : "les économistes qui se méfient de la religion ne comprendront jamais les cultes dont se nourrit le progrès".

 

On a du mal, aujourd'hui, à accepter sans réticence ou arrière-pensée l'existence d'un "Dieu-Dollar", sinon par raillerie. C'est probablement dû à quelques siècles de christianisme, pendant lesquels les prêtres ont longuement insisté sur le dogme selon lequel Dieu et l'Argent, ça fait deux. Voyons pourtant ce qu'en pense un Empereur romain, Hadrien, qui n'a que mépris pour l'argent : "tous, Chrétiens ou Juifs, ne connaissent qu'un seul Dieu : l'argent". Quand on adore un Dieu unique, rien de plus aisé que de passer à l'Argent comme unique objet d'adoration. Chose impensable pour un aristocrate romain, formé à l'école de la guerre et des lettres, qui n'a que mépris pour le commerce et la populace.

 

 

 

C. Une nouvelle partition du Sacré : la Monnaie et la Vertu

 

Les sociétés impériales créent un centrage total autour de la personne du Souverain, expression la plus haute de la "vertu". Ce sont des sociétés "monolithiques". Dans la phase maximale de leur développement, elles établissent des "religions" qui se veulent "ouvertes", des cultes impériaux qui relient tous les sujets de l'Empire. Elles créent les premières formes de la guerre idéologique, la "conversion" remplaçant alors la dévoration ou la conquête. Il s'agit de "conquérir les âmes" par la séduction ou la fascination plus que par la violence.

 

La création des "Peuples" est la première révolte radicale contre le système impérial. Les Juifs, premier "Peuple" de l'histoire, seront toujours violemment opposés à tout Empire, jusqu'à ce qu'ils soient écrasés et dispersés par les Romains. Le Peuple juif, avec son modèle relativement égalitaire, solidaire, sa volonté d'homogénéité, l'apprentissage de l'Ecriture, créé un premier modèle s'opposant au modèle égyptien et ses hiérarchies initiatiques. Ce modèle, fondé sur une alliance politique, religieuse et militaire entre quelques tribus, est très proche du modèle de fondation des Cités grecques, et en particulier de celle qui a la première constitution connue, Spartes. Le modèle spartiate, égalitaire et militaire, se fonde sur le refus de la "corruption", représentée par la concurrence individuelle, l'argent, toutes choses qui sont laissées aux esclaves et aux étrangers.

 

Le modèle du "Peuple" reprend en partie le modèle impérial. Il fonde sa force sur la "Vertu" qui lui permet de dominer les classes faibles et corrompues des esclaves, et sur une "éducation" relativement rigide. Dans un sens, les débuts des peuples et des Cités ressemblent aux débuts des Empires : distinction entre races nobles et esclaves, ceux-ci entretenant ceux-là.

 

Mais les Empires ont créé, avec les grandes religions de salut, un signe qui se libère très vite de son sens sacré primitif : la Monnaie. D'abord contrôlée par les Temples, elle leur échappe rapidement et devient un agent de "libération" (au sens propre, pour les esclaves, puisqu'ils peuvent se "racheter"), lié en cela aux grandes religions de salut. Signe de cette évolution, Thot, le dieu égyptien de l'Ecriture et de l'initiation, est traduit chez les Grecs par Hermès, qui reste le dieu de l'initiation et de l'écriture "hermétique", et devient celui du commerce et des voleurs, dieu aux pieds ailés, comme Eros-Phanès est également ailé.

 

Cette transposition de la "liberté", primitivement accessible au seul initié, voire à l'"homme libre" opposé à l'"esclave", a des conséquences incalculables. Dostoïevski, rebelle à l'Empire, appelait l'argent : "Une volonté de liberté frappée dans le métal". La Monnaie interfère avec le système de valeurs clanique et initiatique; elle peut, même, le détruire. L'introduction de la Monnaie, de même que l'introduction des religions de salut, chrétienne en particulier, détruira les Cités et les Républiques fondées sur la Vertu. Il ne faut pas s'y tromper : si Juifs et Chrétiens peuvent apparaître, eux aussi, opposés au "règne de l'argent" et à la "corruption", la réaction d'Hadrien face à eux nous montre clairement que les grandes religions et l'Argent ont un adversaire commun, l'ordre du monde fondé sur la distinction de la naissance et de l'éducation. Quand l'ordre nobiliaire, les Cités et Républiques auront complètement disparu, on verra apparaître plus clairement le rôle "capitaliste" de l'Argent, les nouvelles dominations qu'il peut créer, et c'est alors que les morales chrétienne ou marxiste s'y opposeront violemment au nom de l'"égalité", créant la bipolarisation si typique des démocraties entre une "droite" et une "gauche" mettant chacune l'accent sur la primauté de l'un des jumeaux inséparables, l'Argent et le social. Cette bipolarisation n'est évidemment possible que parce que les deux doctrines, de droite et de gauche, sont sorties du même oeuf religieux et impérial. Aucun des deux camps ne conteste la validité des principes de "Liberté, Egalité, Fraternité"; chacun essaie de se les approprier, de s'en faire l'ardent serviteur.

 

Des "sceaux" et "anneaux" royaux aux Monnaies modernes, et de la démocratie conçue comme organisation d'un Peuple dominant des esclaves et des Barbares aux grands idéaux égalitaristes et assimilateurs, il y a une distance énorme. La "démocratie" originelle, conçue comme le pouvoir des hommes libres sur les esclaves et contre les Empires, s'est transformée en religion universaliste des "Droits de l'Homme". Si l'on considère que la chute du monde antique a été due à l'ouverture de ses frontières, internes et externes, on peut penser que le monde occidental flirte avec sa ruine.

 

 

 

D. Limites de l'égalisation

 

L'égalisation n'a de sens que si elle confère une supériorité collective sur les "inégaux". Les Grecs, et particulièrement les Spartiates qui se nomment eux-mêmes les "Egaux", les "Homologues" ou les "Pairs", font de cette égalité une puissante arme de guerre contre les Empires, masses de populations asservies aux Empereurs-Dieux. L'égalité est l'arme imparable du peuple contre les Empires. Ca marche à tous les coups : Marathon, Valmy, Viêt-nam. Seulement, il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette arme : si elle ne trouve pas d'adversaire, elle se retourne contre soi. Les Grecs avaient pour ambition déclarée d'asservir les populations décadentes qui n'avaient pas été capables d'élaborer les lois rigoureuses et justes qu'eux-mêmes s'étaient imposées. Les français de Valmy, les Viet Congs se sont transformés en conquérants de la "liberté", contre les Empires. De même, soviétiques, nationaux-socialistes et maoïstes, prétendant délivrer l'humanité du capitalisme et de la corruption. Mais l'égalité ne supporte que les victoires. Elle ne peut être supportée dans la défaite, ou même dans le statu quo. Elle demande des adversaires à vaincre, elle veut créer la supériorité collective sans laquelle elle n'aurait aucun sens. Elle nécessite en effet une telle inhibition interne des instincts de domination qu'elle doit forcément les retourner contre un adversaire, par définition inégalitaire et corrompu.

 

L'égalisation a donc forcément des limites : elle n'est adoptée que tant qu'elle est avantageuse par rapport à d'autres systèmes qui ne la pratiquent pas. S'il n'y a plus d'extérieur, d'ennemis à soumettre, les avantages de l'égalisation disparaissent.

 

Les rêves d'une égalisation universelle ne doivent donc pas nous abuser. L'égalité n'est un avantage que tant qu'elle permet de donminer les populations "corrompues" ou mal organisées. Elle n'est pas un bien "en soi". Une réflexion sur l'égalité doit avoir pour objet sa limite optimale, les caractéristiques précises de l'ensemble à égaliser pour son efficacité maximale.

 

Les principes de liberté et d'égalité, définis par Locke, philosophe de l'après-Cromwell, vers 1680, n'ont jamais été remis en cause, sinon par Nietzsche. Si ces principes ont probablement été à l'origine du grand mouvement de libération sociale et intellectuelle qui a permis le développement fantastique des sociétés occidentales, nous sommes mieux à même, aujourd'hui, d'en comprendre les limites. Si le but de toute idéologie est de favoriser la croissance d'un type de société harmonieuse, dans laquelle les conflits internes soient réduits, pour laquelle on soit éventuellement prêt à se battre comme les Grecs à Marathon, il semble bien que l'idéologie libérale-égalitaire du XVIII°, toujours serinée par les dirigeants politiques du XX°, ne remplit plus sa fonction. En fait, curieusement, l'idéologie libérale-égalitaire produit le même résultat que la dévoration des clans par les Empereurs, transformée en conquête "religieuse" par Akh-En-Aton et ses épigones chrétiens : nous n'avons plus d'âme, donc plus rien à défendre, libérés et égalisés dans un état d'entropie maximale.

 

Si le langage idéologique ne se modifie pas dans le sens d'une prise en considération de la réalité, il est fort probable que réapparaissent des "accidents" comme le national-socialisme. "Droits de l'Homme" et "Argent" ne suffisent plus à fonder une société cohérente.

 

 

 

Bibliographie et Citations

 

 

 

ARISTOTE, La Politique, I, 2, 1253 a 35-36

 

La "chrématistique", l'extension des échanges, le commerce pour de l'argent, est condamnable parce qu'il n'y a "aucune limite à l'acquisition des richesses". L'homme sans Cité, l'aventurier ou le commerçant, est l'être "le plus impie, le plus féroce, le plus bassement porté vers les plaisirs de l'amour et du ventre."

 

ARISTOTE, La Politique, I, 10, 1258 b 2-8

 

"L'usure est de tous les modes d'acquisition le plus contraire à la nature."

 

ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, V, 8

 

"Il faut que les choses soient appréciées : c'est par là qu'on rendra possible en tout temps l'échange et, par suite, la communauté. A la vérité, il est impossible de rendre commensurables des choses aussi différentes, mais on peut le faire convenablement si l'on a égard au besoin. Il nous faut donc une certaine unité, et cette unité ne peut être établie que par convention (ex hypotheseos). Ainsi l'appelle-t-on monnaie (...). La monnaie peut donc tout égaliser, comme une mesure qui rend toutes choses commensurables (...). La monnaie est devenue en quelque sorte un moyen terme (meson)(...). C'est comme substitut des besoins et par convention que s'est faite la monnaie."

 

ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, V, 8, 1133 a 32-33

 

L'échange est "juste" si "la transaction n'entraîne pour les contractants ni enrichissement ni appauvrissement", "quand les marchandises ont été égalisées proportionnellement, de telle sorte que le rapport entre les producteurs soit le même qu'entre les produits de leur travail."

 

AUSTIN, VIDAL-NAQUET, Economie et société dans la Grèce Antique,

 

La monnaie apparait avec "le développement de la conscience civique : dans l'histoire des cités grecques, la monnaie sera toujours avant tout un emblème civique."

CURTIUS, E., Sur le caractère religieux des monnaies grecques, 1870

Les divinités des monnaies sont différentes des divinités de la Cité. C'est surtout Aphrodite qui est représentée.

"Les dieux étaient les premiers capitalistes de Grèce, leurs temples les plus anciennes banques."

DETIENNE, M., "Viande et sacrifice en Grèce Ancienne", La Recherche, n°75, Février 1977

 

"Aucun pouvoir politique ne peut s'exercer sans pratique sacrificielle."

VI° siècle : récit orphique de la mort de Dionysos

un dieu ayant l'apparence d'un enfant est égorgé par les Titans. Couverts de gypse et portant un masque de terre blanche, ils présentent à l'enfant des objets fascinants : toupie, rhombe, poupées articulées, osselets, miroir. Pendant que Dionysos contemple son image, les Titans le frappent, le découpent en morceaux, les jettent dans un chaudron puis les font rôtir, les mangent sauf le coeur coupé en morceaux en parts égales. Zeus les frappe de la foudre avant qu'ils ne mangent le coeur; des cendres des Titans naissent les hommes. cf Orphicorum fragmenta, ed. O.Kern, 1963, F 34-36, p. 209

Les pythagoriciens "purs" et les orphiques ne mangent pas de viande. Dans la cité grecque, ne pas manger de viande, ne pas participer au sacrifice, c'est "renoncer au monde".

Les dionysiaques, mangeant la chair crue, refusent également la culture.

Le sacrifice "normal" est celui d'un animal domestique, avec son "assentiment", sans "violence". Toute viande consommable vient d'une mise à mort rituelle. Le partage combine deux systèmes : les meilleurs morceaux vont aux "chefs" (roi, prêtre, etc), et les autres font l'objet d'un tirage au sort égalitaire.

 

GERNET, Louis, Anthropologie de la Grèce Antique, Maspéro, 1968

 

"On peut dire que, dans les Jeux funèbres de l'Iliade par exemple, nous sommes à même distance de la monnaie que de la procédure. Il y a toujours intérêt à marquer ce genre de connexions.

En effet, les choses données en prix - notamment coupes, trépieds, bassins, armes, etc - sont de l'ordre des "signes prémonétaires" sur lesquels le travail de Laum a attiré l'attention. (cf Laum, B., Heiliges Geld, 1924)" p. 95

exemple : histoire du "Trépied des Sept Sages", récompense à attribuer "au plus sage". Le trépied va de Thalès à un autre, et ainsi de suite, jusqu'à revenir à Thalès qui le consacre à Apollon.

Les concours de "sagesse" sont analogues aux concours des "jeux" par exemple. Les Sept sont regroupés en "Banquet", cadre idéal d'une circulation.

Chez Homère, les objets sont souvent divins, fabriqués par Hephaïstos par exemple. Hélène de Troie jette un trépied à la mer et prédit qu'il sera l'enjeu des combats.

début du IV° AJC : la coupe d'or, "symbolon" du Roi, fonctionne encore comme lettre de crédit.

L'objet précieux (l'anneau) peut toujours être risqué dans un pari énorme.

Mythe de fondation de la monnaie : l'anneau de Gygès (Lydie)(VII siècle).

Gygès, un berger, trouve un anneau porteur d'un "sceau" qui le rend invincible et invisible. Il tue le roi et s'empare du trône, se marie avec la Reine et invente la Monnaie (cf Platon, République III, 359 D 59)

Les Agalmata, "richesses", sont souvent des coupes d'or, venues de la mer. Les agalmata sont souvent rituellement sacrifiés (bêtes des troupeaux sacrifiées, vêtements, or, images des dieux).

Sacrifices de fondation : la fille d'un roi de Lesbos est jetée à la mer avec ses bijoux. Son amoureux plonge avec elle et revient longtemps après avec une coupe d'or de Poséidon.

à Athènes, le "cosmos" est la parure de la déesse Athéna, et c'est la "richesse" suprême de la ville.

 

HERACLITE

 

 

"Le maître dont l'oracle est à Delphes ne dit ni ne cache rien, il signifie."

"La sibylle qui, de sa voix délirante, prononce des paroles graves et sans fard, traverse de sa voix des milliers d'années, grâce au dieu qui l'anime."

NIETZSCHE, "L'Etat chez les Grecs", in Ecrits posthumes, 1870-1873, Gallimard, 1975

 

 

 

 

 

 

 

"Des fantômes tels que la dignité de l'homme, la dignité du travail, sont les indigents produits de l'esclavage qui se dissimule à lui-même."

"L'esclavage appartient à l'essence d'une civilisation."

"Chaque instant dévore le précédent, chaque naissance est la mort d'êtres innombrables."

"S'il devait s'avérer que les Grecs ont péri à cause de l'esclavage, il est bien plus certain que c'est du manque d'esclavage que nous périrons."

Ostracisme d'Hermodore à Ephèse : "Chez nous, personne ne doit être le meilleur; mais si quelqu'un le devient, que ce soit ailleurs et chez d'autres."

"Le grec reconnait l'artiste seulement dans ce combat où sa personnalité est en jeu."

Héraclite : "c'est moi-même que j'ai cherché et que j'ai tenté d'interpréter."

Nietzsche. "La joute chez Homère" in : Ecrits Posthumes, 1870-73, Gallimard, 1975

 

 

 

"Plus un Grec est grand et noble, plus est lumineux le feu de l'ambition qui jaillit de lui et qui dévore quiconque suit la même voie. Il est arrivé à Aristote de dresser une liste de ce genre de joutes agressives de grand style; on y trouve l'exemple le plus frappant : celui d'un mort qui va jusqu'à exciter la jalousie dévorante d'un vivant."

"Tous les grands hommes de la Grèce se sont passé le flambeau de la joute; au contact de chaque grande vertu, une grande figure à nouveau s'est enflammée."

"Le Grec est envieux et ressent ce trait non comme un défaut,mais comme l'influence d'une divinité bienfaisante."

 

SCHACHT, Joachim, Le masque mortuaire de Dieu, anthropologie culturelle de l'argent, Payot, 1973

 

 

 

"L'époque et le lieu de naissance de la monnaie étaient pénétrés par les courants de l'Orphisme caractérisé par une vision dualiste de l'homme et du monde. Il attribue à l'âme les propriétés d'un être séparé du corps et lui survivant. La monnaie est née à l'époque où apparut la première religion de salut en Occident"

Phanès "aux ailes d'or" ouvre "avec une clé aux vertus magiques les serrures que Chronos, le maître du monde, avait apposées à l'oeuf cosmique... Entre le ciel et la terre, issu des deux moitiés de l'oeuf et que sa naissance a séparés, en faisant les deux êtres primordiaux, Chronos et Ananké-Adrasteia, Phanès se situe désormais au centre, principe d'amour unissant, Eros." p. 66

Phanès devient Dionysos dans le monde terrestre.

 

SOPHOCLE, Antigone

Créon :

"Jamais n'a grandi chez les hommes pire institution que l'argent.

C'est l'argent qui détruit les Etats; c'est lui qui chasse les citoyens de leur maison; c'est lui dont les leçons vont séduisant les coeurs honnêtes, leur font embrasser l'infamie. Il leur apprend tous les crimes, il leur apprend l'impiété qui ose tout."

Antigone à Polynice mort :

"Si j'avais eu des enfants, si c'était mon mari qui se fût trouvé là à pourrir sur le sol, je n'eusse certes pas assuré cette charge contre le gré de ma cité. Quel est donc le principe auquel je prétends avoir obéi ? Comprends-le bien : un mari mort, je pouvais en trouver un autre et avoir de lui un enfant, si j'avais perdu mon premier époux; mais, mon père et ma mère une fois dans la tombe, nul autre frère ne me fût jamais né. Le voilà, le principe pour lequel je t'ai fait passer avant tout autre."

Créon à Hémon :

"Ne va jamais, pour le plaisir que peut te donner une femme, perdre la raison, et sache bien que c'est une étreinte glacée que celle que vous offre au logis une épouse méchante."

"Il n'est pas fléau pire que l'anarchie. C'est elle qui perd les Etats, qui détruit les maisons, qui, au jour du combat, rompt le front des alliés et provoque les déroutes; tandis que, chez les vainqueurs, qui donc sauve les vies en masse ? la discipline. Voilà pourquoi il convient de soutenir les mesures qui sont prises en vue de l'ordre, et de ne céder jamais à une femme, à aucun prix. Mieux vaut, si c'est nécessaire, succomber sous les bras d'un homme, de façon qu'on ne dise pas que nous sommes aux ordres des femmes."

Choeur :

"Qui triomphe donc ici ? Clairement, c'est le Désir, le Désir né des regards de la vierge promise au lit de son époux,

Le Désir, dont la place est aux côtés des grandes lois, parmi les maîtres du monde. La divine Aphrodite, invincible, se joue de tous."

 

SOPHOCLE, Oedipe Roi

 

 

 

 

Oedipe a les "pieds enflés" ou les "pieds troués"

La Sphinx tue les thébains ne répondant pas aux "énigmes".

Les thébains doivent payer "le tribut payé à l'horrible chanteuse."

"Ce qu'on cherche, on le trouve; c'est ce qu'on néglige qu'on laisse échapper."

à propos de la mort de Laïos : "quelle détresse pouvait donc bien vous empêcher, quand un trône venait de crouler, d'éclaircir un pareil mystère ?

- La Sphinx aux chants perfides, la Sphinx, qui nous forçait à laisser là ce qui nous échappait, afin de regarder en face le péril placé sous nos yeux."

Choeur :

"La démesure (hybris) enfante le tyran. Lorsque la démesure s'est gavée follement, sans souci de l'heure ni de son intérêt, et lorsqu'elle est montée au plus haut, sur le faîte, la voilà soudain qui s'abîme dans un précipice fatal, où dès lors ses pieds brisés se refusent à la servir."

Choeur :

"Il avait visé au plus haut. Il s'était rendu maître d'une fortune et d'un bonheur complets.

Il avait détruit, ô Zeus, la devineresse aux serres aigües. Il s'était dressé devant notre ville comme un rempart contre la mort."

Jocaste :

"Ne redoute pas l'hymen d'une mère : bien des mortels ont déjà dans leurs rêves partagé le lit maternel. Celui qui attache le moins d'importance à pareilles choses est aussi celui qui supporte le plus aisément la vie."

Choeur :

"La couche où misérable, elle enfanta un époux de son époux et des enfants de ses enfants !"

Oedipe, à propos de ses yeux aveugles :

"Ainsi ne verront-ils plus ni le mal que j'ai subi, ni celui que j'ai causé; ainsi les ténèbres leur défendront-elles de voir désormais ceux que ne n'eusse pas dû voir, et de manquer de reconnaître ceux que, malgré tout, j'eusse voulu connaître !"

 

 

VIII. Systèmes modernes

IX. L'homme et les systèmes

X. Les jeux et les formes

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