Jean-Marc Lepers

Anthropologie systémique

 

Table des matières

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I. Les "systèmes" : composition, formation, évolution
II. Evolution des espèces
III. Le système social mammifère : leaders, rêves, émotions
IV. Le business du Rêve
V. Le système néolithique
VI. Le système impérial-religieux
VII. Peuples, cités, républiques

VIII. Systèmes modernes

IX. L'homme et les systèmes

 

A. Rapports entre groupes dans l'humanité

 

B. Esclavage et modernisme

 

C. Démographie, quantitatif et qualitatif

 

D. L'Occident : un vieux système ?

 

 

 

IX. L'homme et les systèmes

 

 

 

A. Rapports entre groupes dans l'humanité

 

Les rapports entre les groupes d'humains, races, ethnies, tribus ou clans, ont suivi dans l'histoire plusieurs schémas fondamentaux successifs :

 

- Dans le système des chasseurs-cueilleurs paléolithiques, chaque groupe cherche à détruire purement et simplement les ennemis. En particulier, le sorcier cherche à détruire les "âmes" des enfants à naître chez l'ennemi, car une descendance ennemie trop nombreuse modifierait l'équilibre traditionnel des forces, des alliances et des territoires. L'ennemi est principalement le surnuméraire.

 

- Le système des agriculteurs échangistes néolithiques est déjà plus complexe. L'ennemi est non seulement tué, mais aussi mangé. Sa chair est valorisée, échangée contre de la Monnaie. L'ennemi sera incorporé, absorbé. Pendant un temps, avant son sacrifice, il peut même faire partie de la famille, être englobé dans le groupe avant d'être consommé. L'ennemi est donc détruit, mais il est également considéré comme une source de richesse potentielle; d'ailleurs, dans l'échange néolithique généralisé, l'autre peut toujours passer de la position de partenaire de l'échange à la position d'ennemi victime d'une expédition cannibale. Le clan ne cherche pas seulement à maintenir l'équilibre de son territoire, il cherche également à accroître sa richesse.

 

- Les chefferies, royautés, Empires, inventent un autre type de rapport à l'autre : l'esclavage. C'est une révolution fondamentale qui est d'abord une révolution énergétique. L'homme vaincu devient utile, source d'énergie, zombi-machine utilisable. Cette troisième forme de relation à la population "périphérique" ou "dominée" dure jusqu'au XIXème siècle. L'esclave devient un bien valorisé parce qu'il représente une énergie que l'on peut utiliser et, très longtemps, l'énergie principale, à peine relayée par l'énergie animale.

 

- L'époque moderne va, avec le développement industriel, faire apparaître de nouvelles formes d'énergie. Ce sont ces nouvelles formes d'énergie qui ont rendu l'esclavage inutile, donc condamnable. Les dominants n'ont cessé d'exterminer leurs ennemis que parce qu'ils trouvaient plus avantageux de les utiliser. A partir du moment où ils ne sont même plus utiles, on ne sait plus qu'en faire. D'autre part, les sources d'énergie sont aujourd'hui dépendantes de territoires. L'accès le plus aisé à ces énergies supposerait l'élimination des populations autochtones, rentières et inutiles, qui font payer fort cher l'accès aux ressources "naturelles" de leur territoire. Il est possible que la notion d'une "valeur" de la vie humaine, apparue avec l'esclavage comme valeur énergétique, disparaisse avec cette valeur énergétique elle-même. Dans le monde moderne, une quantité énorme de vies humaines deviennent des anti-valeurs, des coûts et des charges pour le reste de l'humanité. Comme il y a lieu de penser que la valeur dépend non pas de décrets divins, mais en définitive de l'utilité ou du désir, il n'est pas très étonnant de constater que, dans l'histoire contemporaine, plusieurs aventures ont montré que la "cote" de certaines vies humaines pouvait être en très forte baisse.

 

La morale religieuse, qui a affirmé la "valeur" intrinsèque de la vie humaine après que l'esclavage ait fait apparaître sa valeur pratique, va-t-elle disparaître après que cette valeur pratique soit devenue négative ?

 

Nous avons déjà dans l'histoire récente quelques exemples de populations qui, après avoir été considérées comme "utiles", voire "indispensables", ont soudain été considérées comme "parasitaires" et ont été exterminées : ainsi les Juifs dans la première moitié du XXème siècle en Europe occidentale. Les morales sont fortement dépendantes des circonstances dans lesquelles elles sont professées.

 

 

 

B. Esclavage et modernisme

 

Les systèmes modernes n'ont pas supprimé entièrement l'esclavage, loin de là. L'esclavage industriel existe encore. Mais il implique de plus en plus des populations particulières.

 

L'esclavage est lié à des sociétés dans lesquelles ce sont les humains qui sont la forme d'énergie principale. ("Il n'est richesse que d'hommes"). D'où, d'ailleurs, l'idée de la "Valeur-Travail" présente dans les écrits des économistes "classiques". Mais, dès le XIXème siècle, on voit apparaître des théories "néoclassiques" qui font de la "rareté" le fondement de la valeur. Cette "rareté" correspond au début de l'industrialisation, où l'énergie utilisée devient fossile (machine à vapeur) et où cette énergie, bien matériel relativement rare et limité, devient un facteur de production principal. Le principe "il n'est richesse que d'hommes", ou principe de la valeur-travail, perd alors beaucoup de son efficacité, au moins dans les pays industrialisés. Il se réfugie dans les systèmes et les populations qui connaissent encore des formes de servage. A l'époque moderne, la mise en évidence, à l'échelle planétaire, d'une limitation des ressources, transforme complètement la vision populationniste de la richesse de la Nation. Les pays sous-développés sont surpeuplés, les pays riches sont ceux qui utilisent le maximum de ressources par habitant.

 

Le problème est donc complètement inversé. Alors que l'esclave était source de richesse, il devient, par l'utilisation massive des énergies fossiles ou nucléaires, un parasite encombrant. Le problème du pouvoir n'est plus essentiellement de trouver des populations à faire travailler pour les maîtres, comme c'était le cas dans les Cités, les Empires et les premiers systèmes industriels, mais de s'approprier des ressources rares que l'on est capable d'exploiter automatiquement, avec une quantité limitée de travail humain.

 

Tous les problèmes modernes (énergie chère, chômage, inflation) sont probablement liés à cette "crise" fondamentale due à une transformation des sources d'énergie rares et utiles. En particulier, la valeur du travail manuel, énergétique, risque bien de tomber très bas.

 

A l'intérieur des systèmes modernes, de la France en particulier, deux courants industriels nettement différents se confrontent et ont des intérêts divergents. Un premier courant, le plus ancien, a hérité des vieilles conceptions militaires et mercantilistes le besoin d'une main d'oeuvre à bon marché, source d'énergie essentielle. Ce premier courant, que l'on peut appeler "néo-esclavagiste", ne trouvant plus à s'alimenter dans les métropoles où l'instruction générale a "affranchi" une grande partie de la classe ouvrière, s'alimente par l'immigration, faisant supporter à l'ensemble de la collectivité les charges nombreuses (logement, adaptation, soins, etc.) liées à la population immigrée. De plus, la gauche, traditionnellement en lutte contre l'esclavage, lutte pour l'intégration et l'égalisation de cette population, égalisation qui n'est pas supportée par les entreprises "négrières", mais encore une fois par l'ensemble de la population.

 

Le second courant, plus moderne, tend à remplacer systématiquement le travail humain par les énergies fossiles et la robotisation, en créant des emplois très qualifiés. Ce second courant, très capitalistique, a des intérêts très différents du premier. Pour ce secteur, la qualité prime absolument la quantité. Les choix globaux qui doivent être faits pour soutenir ce secteur sont évidemment très différents : une éducation très sélective et très approfondie, étant bien entendu qu'on ne peut allouer la même quantité de ressources à la fois pour mettre tout le monde sur le même niveau et pour créer des spécialistes. Le courant "moderne" implique une fermeture et la disparition de l'esclave.

 

 

 

C. Démographie, quantitatif et qualitatif

 

Les conclusions du "Club de Rome", même si les chiffres avancés sont probablement faux (les machines n'imaginent pas), mettent l'accent sur la limitation des ressources naturelles de la planète. Cette limitation n'a jamais été un outil d'analyse important en économie, sauf dans l'analyse de ce que l'on appelle la "rente". Cette limitation, de plus en plus nette, devrait entraîner une modification globale des mentalités.

 

D'une part, dans ce contexte, la limitation des naissances, objet de craintes et de soucis pour les militaires et les démographes (comme si nos pays se "dépeuplaient"), devrait apparaître comme une réponse adaptative positive à une situation nouvelle. On sait, entre autres effets, que les enfants de familles de quatre personnes sont significativement plus intelligents que les enfants de familles plus nombreuses. Limiter la quantité et améliorer la qualité est évidemment une réponse très bien adaptée à un contexte de ressources rares. A condition, évidemment, de fermer les frontières à l'invasion des populations excédentaires du Tiers Monde. Tout se passe comme si, actuellement, les populations occidentales avaient trouvé spontanément la bonne réponse à la surpopulation endémique, et que les gouvernements s'obstinaient à contrebalancer cette tendance par l'immigration, confondant peut-être leur poids politique avec le nombre des résidents sur le territoire.

 

On oublie souvent que parmi les causes probables de la fin du Monde Antique figure en bonne place l'épuisement des terres du pourtour méditerranéen, qui a fait de la Méditerranée une mer morte, et sans doute pour toujours. L'Empire ne pouvait survivre que par l'extension territoriale et les soldats-colons. Parmi les idéologies modernes, celle des allemands nationaux-socialistes réclamant un "espace vital" et battus par les libéraux anglo-saxons et les russes soviétiques disposant encore d'immenses ressources naturelles, pourrait assez rapidement redevenir d'actualité dans une situation d'épuisement endémique des ressources. La suppression par les occidentaux, dans les pays du tiers monde, de ces limiteurs traditionnels de la population qu'étaient les épidémies, l'infanticide et les guerres tribales va peut-être précipiter l'une des plus spectaculaires catastrophes écologiques de tous les temps.

 

On peut assez aisément classer les populations animales selon le nombre d'enfants qu'elles ont : plus elles sont évoluées, moins elles ont de petits et plus elles en prennent soin; plus une population est évoluée, plus le qualitatif y prime le quantitatif. Les comportements fort différents des populations humaines contemporaines en matière de "management" de leur progéniture, de situation dans le rapport qualité/quantité, en font quasiment des espèces différentes. Le "vieillissement" des populations occidentales n'est pas forcément un mal absolu; en général, à quelques exceptions près, les espèces évoluées ont la durée de vie la plus longue, et l'évolution s'accompagne fatalement d'un vieillissement de la population. Ce phénomène n'est pas du tout inquiétant dans la mesure où tous les cycles s'allongent, et où l'on reste jeune beaucoup plus longtemps. Là encore, il s'agit d'une amélioration qualitative; la "jeunesse" ne peut être réduite à un âge d'état-civil; il faut la considérer comme un ensemble de capacités, en particulier de capacités à apprendre, qui sont de plus en plus présentes chez des individus "âgés". Le fétichisme de la date de naissance, comme celui de la quantité globale de population, sont des indices assez sûrs de la fixation des conceptions des dirigeants à des idéaux populationnistes qui étaient ceux du Roi-Soleil. Et puis il est assez facile de faire d'autres types de comptes : qu'ont laissé à l'humanité, dans les sciences et dans les arts, les 20.000 citoyens qui constituaient l'Athènes du siècle de Périclès ? Et, dans le même temps, qu'ont laissé les millions d'assujettis à l'Empire perse ? L'intelligence semble bien être inversement proportionnelle à la masse.

 

 

 

D. L'Occident : un vieux système ?

 

Une des tartes à la crème les plus couramment servies dans les restaurants universitaires et médiatiques est que l'Occident est "vieux", alors que les populations du Tiers-Monde seraient "jeunes". Cette appréciation masochiste part d'un total contresens : s'il existe actuellement des systèmes "jeunes", ce sont bien les systèmes occidentaux, et l'âge physique des acteurs des systèmes n'a rien à voir avec l'âge des systèmes eux-mêmes. Les systèmes occidentaux sont évidemment les plus récents dans l'histoire de l'humanité; à l'inverse, des systèmes tels que ceux qui fonctionnent dans la plupart des pays d'Afrique et d'Asie sont très anciens, et donc très vieux, voire en complète décadence, décadence accélérée, il est vrai, par le contact avec l'Occident. Que la population soit "jeune" en Afrique, en Asie et en Amérique latine ne signifie rien : la jeunesse d'un système se mesure par sa capacité d'innovation et, pour autant que je sache, un adulte européen a beaucoup plus de chances de devenir Einstein qu'un adolescent d'un bidonville africain. On fait des enfants quand on ne sait rien faire d'autre. Si l'Occident "décline", comme disent certains, c'est qu'il le veut bien; ce n'est probablement pas à cause d'un rapport de forces qui serait fatalement en sa défaveur, mais à cause de ses doutes internes, et en particulier à cause de la crise morale intense que représente la prise de conscience du fait que les vieux idéaux chrétiens de liberté, d'égalité et de fraternité, que l'Occident a vaille que vaille tenté d'appliquer sur son territoire, sont totalement inapplicables au niveau mondial.

 

 

X. Les jeux et les formes

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